LA COUR DE CASSATION VALIDE LE BAREME MACRON

LA COUR DE CASSATION VALIDE LE BAREME MACRON

Suivant deux avis du 17 juillet 2019, la Cour de Cassation a estimé que le barème des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, introduit par l’Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, était conforme aux conventions européennes et internationales.

Historique

Pour rappel, l’ordonnance susvisée a modifié le régime indemnitaire des licenciements injustifiés en :

  • supprimant purement et simplement le plancher minimal de 6 mois de salaires pour les salariés justifiant de plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise de plus de 11 salariés ;
  • introduit un barème d’indemnisation des licenciements jugés sans cause réelle et sérieuse prévoyant l’allocation au salarié une indemnité comprise entre 1 et 20 mois de salaire, selon son ancienneté et la taille de l’entreprise qui l’employait ;
  • exclu l’application du barème en cas de nullité du licenciement, c’est-à-dire en cas de licenciement lié à la violation d’une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel, en cas de licenciement discriminatoire, de licenciement faisant suite à l’action en justice du salarié en matière d’égalité professionnelle ou à la dénonciation par le salarié de crimes et délits, en cas de licenciement lié à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé ou à la protection attachée au congé de maternité ou de paternité et au statut de victime d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

Dans cette hypothèse, le salarié a droit à une indemnité minimale d’au moins 6 mois de salaire, sans aucun plafond.

 Le barème mis en place, dans l’objectif de permettre aux employeurs de pouvoir chiffrer le coût éventuel en cas de litige, s’avère moins favorable aux salariés que l’ancien régime, ce d’autant qu’il a été ajouté que l’indemnité prud’homale peut se cumuler, le cas échéant, avec les indemnités versées en cas d’irrégularité en matière de licenciement économique, mais dans la limite des montants maximaux prévus par le barème.

Ce dispositif a jugé comme conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel (décision du 21 mars 2018 ) et conforme à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et à l’article 24 de la Charte Sociale Européenne par le Conseil d’Etat qui exigent une indemnisation adéquate et une réparation appropriée du préjudice subi au bénéfice du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse (décision du 7 décembre 2017).

Divergence entre les juges du fond sur l’applicabilité ou non du barème

Les Conseil de Prud’hommes se sont montrés partagés :

  • certains considérant le barème applicable dès lors qu’il appartient au juge de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il se prononce sur le montant de l’indemnité dans les bornes du barème et que les autres préjudices en lien avec le licenciement sont susceptibles d’une réparation distincte sur le fondement du droit de la responsabilité civil dès lors que le salarié est en mesure de démontrer l’existence d’un préjudice distinct ;
  • tandis que les autres ont écarté l’application du barème aux motifs qu’il était contraire à la convention de l’OIT et à la Charte Sociale Européenne et ne permettait pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés et de réparer de manière juste le préjudice subi, ajoutant pour certains que ledit barème était également contraire à la décision du Comité Européen des Droits Sociaux en ce qu’il n’avait pas de caractère dissuasif pour les employeurs souhaitant licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié.

C’est dans ces conditions que la Cour de Cassation a été saisie par les Conseil de Prud’hommes de Louviers et de Toulouse pour avis sur la conventionalité du barème Macron aux conventions internationales.

L’Avis de la Cour de Cassation

La Cour de Cassation s’est prononcée en Assemblée Plénière composée des Présidents et Doyens de toutes les Chambres, ce qui démontre l’importance de la problématique soulevée, considérée par certain comme la plus importante de ces dix dernières années.

1/ Tout d’abord, la Cour de Cassation « a décidé que la compatibilité d’une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales pouvait faire l’objet d’une demande d’avis dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond ».

Pour la Cour de Cassation, la procédure de demande d’avis a pour objectif d’assurer, dans un souci de sécurité juridique, une unification rapide des réponses apportées à des questions juridiques nouvelles, au nombre desquelles figure l’analyse de la compatibilité de notre droit interne aux normes supranationale.

Il s’agit là d’un revirement de jurisprudence important dans la mesure où depuis 2002, la Cour de Cassation estimait que la compatibilité d’une disposition de droit interne avec la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales ou avec d’autres normes internationales, tel que notamment avec la convention n°158 de l’OIT, relevait de l’examen préalable des juges du fond et, à ce titre, échappait à la procédure de demande d’avis.

Si la Cour de Cassation avait déjà infléchi sa position, l’avis du 17 juillet 2019 est désormais sans ambiguïté.

2/ Sur le fond, la Cour de Cassation considère que :

  • le barème issu de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l’indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse n’entre pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, dès lors qu’il ne constitue pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice ;
  • les dispositions de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Il s’agit là d’une réponse à une question qui n’avait pas encore été tranchée par la chambre sociale de la Cour de Cassation.

  • le barème Macron est compatible avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail qui prévoit ordonner « le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié et en l’absence d’annulation de la mesure ou de réintégration.

Pour la Cour, « le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation ».

Considérant d’une part qu’en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration et, en cas de refus de cette dernière par l’une ou l’autre des parties, octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux, et d’autre part, que le barème était écarté en cas de licenciement nul, le dispositif était compatible avec l’article 10 de la Convention OIT.

Il est à noter que la Cour de Cassation répond là encore à une question qui n’avait pas encore été tranchée par la Chambre Sociale en considérant que l’article 10 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l’OIT est d’application directe en droit interne.

On ne peut que regretter le caractère extrêmement lapidaire de l’argumentation de la Cour de Cassation sur une problématique de telle ampleur, dont certains estiment qu’elle est purement politique.

Sur les suites

L’avis de la Cour de Cassation n’est pas contraignant pour les juges du fond.

La Cour de Cassation n’est elle-même pas tenu par son avis.

Il n’est donc pas à exclure que des Conseils de Prud’hommes et/ou Cour d’Appel continuent d’écarter le barème Macron aux motifs d’une inconventionnalité aux textes internationaux.

Les deux premières décisions en appel seront rendues le 25 septembre 2019, à Paris et à Reims.

Elle seront scrutées avec intérêt.

Compte tenu de l’importance des enjeux en présence, il est quasi certain que les arrêts rendus feront l’objet d’un pourvoi en cassation. Si on imagine mal la Cour de Cassation remettre en cause l’avis du 17 juillet 2019, le premier arrêt qui sera rendu par la Cour de Cassation dans le cadre d’un pourvoi devra être analysé scrupuleusement.

Il est également  noter que les Syndicats FO et CGT ont saisi respectivement en mars et septembre 2018 le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) aux fins de faire juger le barème Macron non conforme à l’article 24 de la Charte.

Par ailleurs, certains syndicats parlent de saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

La question de la validité du barème Macron n’est donc pas encore définitivement tranchée.

A suivre…

LA COUR DE CASSATION VALIDE LE BAREME MACRON